Manifestations en Iran : «c’est l’explosion des frustrations»

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Depuis jeudi, les rassemblements se multiplient dans de nombreuses villes de la République islamique et dépassent le mot d’ordre initial contre la situation économique.

Ils étaient quelques centaines dans une ville jeudi et sont désormais des milliers dans tout le pays. En trois jours, les manifestations ont pris en Iran une ampleur inédite depuis le mouvement de 2009 contre la réélection du président ultra-conservateur Mahmoud Ahmadinejad. Sur les réseaux sociaux, de très nombreuses vidéos circulent montrant des rassemblements à travers tout le pays, dans les petites comme dans les grandes villes, dans le centre comme dans la périphérie qui abrite les minorités ethniques. A Téhéran samedi, la police a dispersé des dizaines d’étudiants, selon l’AFP, devant les grilles de l’université. D’autres affrontements ont éclaté plus tard dans la journée dans d’autres points de la capitale.

«Ce n’est ni une révolution ni un mouvement politique, mais plutôt l’explosion des frustrations sur la stagnation politique et économique que la population iranienne avait refoulées» commente Ali Vaezi, de l’International Crisis Group. A Mahshad, jeudi, le mot d’ordre de cette première manifestation était essentiellement économique, contre la vie chère et le chômage. Trois décisions récentes nourrissent ce mécontentement, relève Clément Therme, chercheur à l’IISS (International Institute for Strategic Studies). Le gouvernement a décidé de fermer plusieurs établissements de crédits qui croulaient sous les dettes. La deuxième ville du pays, Mashhad, a été particulièrement touchée par la fermeture de l’une de ces banques, Mazan. «Les Iraniens ont eu le sentiment d’avoir été volés par l’Etat. Sous Ahmadinejad, le gouvernement sauvait coûte que coûte ces établissements « pourris »», précise Clément Therme. Plus prosaïquement, le prix des œufs et de la volaille a de nouveau augmenté en décembre, atteignant une hausse de 50% en un an, selon les chiffres de la banque centrale iranienne.

Le 10 décembre, le président Rohani, réélu en mai dernier sur la promesse d’améliorer la situation économique du pays, a présenté son budget au parlement, qui concrétise ses engagements d’assainir les finances de l’Etat. Pour la première fois, celui-ci faisait apparaître les dépenses pour les fondations religieuses, les centres de recherche et d’autres institutions non-élues liées au régime. «Les gens ont appris que les religieux se taillaient la part du lion dans le budget, sans en être comptable, alors que le quotidien des Iraniens devient plus difficile», estime Omid Memarian, un analyste iranien cité par BuzzFeed.

Les autorités entre inquiétude et menaces

Les tenants de la ligne dure du régime, opposés au gouvernement actuel, ont semblé bien accueillir ce mouvement de protestation au tout début, mais ils ont vite été dépassés. Dès la première manifestation de Mahshad, les slogans ont débordé les seules revendications économiques, pour s’en prendre à Rohani et à la politique régionale de la République islamique. «Pas Gaza, pas le Liban, ma vie en Iran» ont scandé certains pour protester contre le soutien, notamment financier, à des groupes palestinien ou libanais, comme le Hezbollah. Des vidéos montrent des manifestants s’en prendre au Guide Suprême, Ali Khamenei, soit par des slogans («Désolé, seyed Ali, nous devons réagir») soit en déchirant son portrait.

Pour l’heure, le régime apparaît dans l’expectative. Dans sa première déclaration depuis jeudi, le président iranien a tenté de calmer le jeu dimanche soir. «La population est libre de critiquer le gouvernement et de manifester», a déclaré Hassan Rohani, tout en rejetant «la violence et la destruction de biens publics». Ni les Gardiens de la révolution, la puissante armée idéologique du régime, ni les redoutées milices des bassidjis n’ont été déployés dans les rues à ce jour. «Le gouvernement n’a pas l’air enclin à employer la force brute, de peur que cela fasse le jeu de ses opposants intérieurs ou de ses ennemis étrangers. Mais sa patience sera bientôt à bout», observe Ali Vaez. Dimanche, le ministre de l’Intérieur, Abdolreza Rahmani Fazli, à la télévision d’Etat, s’est fait menaçant : «Ceux qui détruisent les biens publics, créent du désordre et agissent dans l’illégalité doivent répondre de leurs actes et payer le prix. Nous agirons contre les violences et ceux qui provoquent la peur et la terreur.» Les autorités ont confirmé avoir arrêté 200 manifestants, samedi à Téhéran.

A Doroud, une ville moyenne de l’Ouest iranien, deux hommes ont été tués samedi soir lors d’un rassemblement. Tout en confirmant ces deux morts, le vice-gouverneur de la province n’en a pas précisé les circonstances exactes. Fidèle à la ligne des autorités confrontées à des troubles, il a accusé les «groupes hostiles et les services de renseignements étrangers d’être derrière» la vague de protestations. Le porte-parole du gouvernement, Mohammad Bagher Nobakht, a tenté samedi soir d’apaiser la situation en s’attaquant à l’origine de ces manifestations. Il a annoncé que le prix de l’essence n’augmenterait pas de 50% à partir du 21 mars 2018, date de la nouvelle année iranienne, contrairement à ce que prévoyait le budget.

«Le régime est extrêmement inquiet, note Clément Therme. Pour l’instant, ce sont majoritairement les classes populaires qui se mobilisent, mais les autorités ont très peur que les classes moyennes de Téhéran les rejoignent. L’édifice serait alors en danger.» Première démonstration de cette anxiété grandissante : la messagerie instantanée Telegram, extrêmement populaire en Iran, a été bloquée dimanche. Très utilisée pour organiser ces rassemblements, elle permet de créer des chaînes pour envoyer des vidéos ou messages à des milliers d’abonnés en même temps. L’une d’elle a été fermée samedi soir à la demande des autorités iraniennes. Une requête acceptée par Telegram car elle «demandait à ses abonnés d’utiliser des cocktails Molotov contre la police».

Pierre Alonso

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