Les Français en ont assez. Assez des vieux discours, des vieux politiciens, des vieilles promesses… Ils avaient trois moyens de renverser la table lors de ce premier tour : la manière forte avec Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon et la manière douce avec Emmanuel Macron. C’est cette dernière qu’ils ont choisie en portant en tête du premier tour ce jeune homme de 39 ans avec 23,7 % selon les premières estimations d’Ipsos devant Marine Le Pen, qualifiée au second tour avec 21,7 %. Emmanuel Macron aura réussi le pari fou en deux ans et demi de 1) sortir de l’anonymat ; 2) créer un mouvement en passe de devenir un parti ; 3) réunir les hommes de bonne volonté de droite et de gauche pour tenter de faire évoluer le compromis de 1945 sur lequel repose l’État-providence ; 4) se jouer des rumeurs sur son argent et sa vie privée ; 5) se démarquer du bilan de François Hollande tout en l’ayant servi au bas mot quatre ans…
Macron a diffusé de l’optimisme, mais a surtout profité d’un incroyable concours de circonstances : le renoncement de François Hollande, l’élimination de Manuel Valls à la primaire de la gauche et enfin l’affaire Fillon qui éclate en février, plante la droite, à qui cette élection présidentielle était promise. Certes, Fillon – éliminé selon les estimations d’Ispos avec 19,5 % – avait commencé à dévisser dès janvier, compte tenu d’une campagne qu’il a eu du mal à reprendre après sa victoire à la primaire. Les primaires, tout en le faisant triompher, ont semé les grains de sable qui ont, petit à petit, grippé sa campagne. Les meilleurs arguments contre François Fillon, c’est Alain Juppé lui-même qui les avait fournis durant la campagne… Le candidat, trop sûr de sa victoire, a, dans un premier temps, écarté les sarkozystes de tout poste important pour se replier sur un tout petit cercle de fidèles. Parce que, disait-il, il ne devait « rien au parti ». Erreur qu’il a ensuite corrigée lorsque LeCanard Enchaîné a entamé son pilonnage…
C’est, en effet, à ce moment-là que Macron passe devant Fillon dans les sondages. L’électorat juppéiste s’est en partie détourné de Fillon ou s’est réfugié dans un repli abstentionniste. « Macron a pris les grandes villes, Le Pen a pris les campagnes. Les deux se sont partagé les villes moyennes. Nous n’avons plus d’espace », analysait Jean-François Copé. Seul l’électorat des 70 ans et plus est resté filloniste. Ce qui peut être suffisant dans une élection départementale, mais ne suffit pas dans une présidentielle dont le taux de participation (80 % selon Ipsos) est trop élevé et relativise le poids des seniors dans les urnes.
Marine Le Pen avait, quant à elle, besoin d’une abstention forte. Le FN réalise ses plus gros scores quand l’électorat se démobilise, car ses partisans se surmobilisent. Là aussi, ce qui vaut lors des régionales – où elle passe les 40 % par endroits – ne se vérifie pas dès lors que le corps électoral se déplace en masse et dilue, par conséquent, le vote extrême. Cela dit, elle a rempli sa mission a minima : la fille de Jean-Marie Le Pen se propulse au second tour comme son père il y a 15 ans. Dans un contexte tout autre : Jean-Marie Le Pen avait, par surprise, arraché sa place en finale en devançant de quelques milliers de voix Lionel Jospin. Marine Le Pen, elle, faisait la course en tête dans tous les sondages depuis trois ans…
Mélenchonisation
Jean-Luc Mélenchon peut se satisfaire de son score (19,5 % selon Ipsos). Il a atteint l’un de ses buts : détruire le PS, qu’il avait quitté en 2008, après le congrès épouvantable qui avait vu Martine Aubry et Ségolène Royal s’accuser de tricheries. Mélenchon considérait alors que le PS, confit dans la social-démocratie, était irrécupérable et qu’il fallait refonder un vrai parti de gauche. Son OPA sur le vieux Parti communiste a été mené de main de maître, car si les dirigeants du PCF sont restés réticents à suivre le leader de La France insoumise, la base des militants communistes, elle, était mélenchonisée. Que fera le leader pro-chaviste de son réservoir de voix pour le second tour ? Vers qui se tourneront ses électeurs… ?
Benoît Hamon, quant à lui, a totalement raté sa campagne. Comme en 1969 où le tandem Deferre-Mendès France s’était effondré à 5 %, le frondeur Hamon s’écrase à 6,2 % selon Ipsos. Comment pouvait-il en être autrement après le quinquennat Hollande ? Les frondeurs ne pesaient que 30 % des militants PS lors du congrès de Poitiers. Minoritaires dans leur parti, les dissidents de la ligne Hollande n’ont pas réussi à trouver le bon dosage entre le réalisme économique et la gauche du cœur. Les électeurs socialistes partisans d’une gestion sérieuse des déficits sont partis chez Macron tandis que les tenants de « l’utopie réaliste » ont trouvé chez Jean-Luc Mélenchon un tribun digne de leurs aspirations révolutionnaires. Hamon s’est fait dévaliser et l’homme, sympathique par ailleurs, a commencé à flotter dans un costume présidentiel un peu grand.